« L’anxiété est l’anticipation d’une souffrance future. »
Charles Darwin
Dans notre vie quotidienne, il existe bien des motifs pour être anxieux, et nous vivons dans une époque éminemment anxiogène. En règle générale nous redoutons cette sensation de gorge nouée et cette moiteur dans les mains, ces sueurs froides, ces frissons, ces pensées qui nous harcèlent en boucle. L’esprit que nous avons ne nous donne que trois possibilités de réponses : oui, non ou peut-être. En règle générale ce ne sont pas des réponses satisfaisantes pour des questions profondes, alors on est continuellement anxieux, on est anxieux à propos de tout.
« Nous sommes des créatures d’anxiété, c’est là qu’on nage, c’est notre habitat naturel. Il y en a quelques en d’entre nous qui sont très accomplis, qui émergent de ça. On essaie d’en faire partie mais on a aussi la preuve que notre propre vie, qu’on peut aller quelque part mais que l’on ne va pas se libérer de ce qu’on est. Je ne crois pas que la terre soit un endroit où l’on peut résoudre ses problèmes. » Leonhard Cohen
Nous vivons une époque terriblement anxiogène, la menace du coronavirus, la menace terroriste, la menace des licenciements, de la baisse des revenus, du niveau de vie, la menace du déclassement, la peur de l’avenir pour nos enfants et petits-enfants. Nous sommes tous impactés même si nous ne sommes pas dotés d’une personnalité anxieuse, que nous n’avons pas un naturel anxieux. Paradoxalement, les personnalités anxieuses peuvent s’en sortir un peu mieux, parce qu’ils ont des petits secteurs à eux sur lesquels ils sont très stressés mais beaucoup plus confiants sur les autres secteurs.
Quels peuvent être les bienfaits potentiels de l’anxiété
Le bienfait potentiel de l’anxiété est de s’habituer à gérer l’incertitude, ce qui est valable jusqu’à un certain point. Aujourd’hui les menaces sont autour de nous et s’en inquiéter n’a rien d’anormal, le problème c’est comment le gérer. La distance et la capacité à faire face, quelque fois on a les moyens et à d’autres moments on se rend compte qu’on n’a aucune prise aucun moyen pour faire face et qu’il va falloir s’organiser différemment. Notre époque est très incertaine et anxiogène, il y a beaucoup de choses que nous avons du mal à anticiper, ce qui peut créer de l’angoisse, mais cela ne veut pas dire que notre époque est plus dure que celles qui nous ont précédées.
Décompenser c’est perdre ses ressources quand on a affaire à l’adversité. Comme chacun, on a des mécanismes de défense qui là s’écroulent un petit peu et donc on va voir apparaitre des symptômes que l’on n’avait pas mais qui étaient un peu latent.
Quelle est la différence entre l’angoisse et l’anxiété ?
L’anxiété c’est vraiment l’anticipation de la peur, l’angoisse c’est plus souvent cette composante plus physique que l’on associe à l’anxiété c’est-à-dire l’oppression thoracique, la boule au ventre, les mains moites…
L’anxiété peut être généralisée avec des personnes qui se font du souci pour tout et dans tous les domaines et très souvent ; dans ce cas-là c’est un diagnostic. L’anxiété peux être plus focalisée, cela peut-être des troubles obsessionnels compulsifs, cela peut-être une anxiété de performance (trac..) la peur de passer un examen, un entretien, cela peut-être également la phobie. L’anxiété peut être positive, en vous permettant de mobiliser toutes vos ressources et augmenter votre vigilance dans certaines situations, c’est le bon côté des choses.
Comment se manifeste l’anxiété ?
Il y a pratiquement toujours une composante somatique dans l’anxiété, parce que même ce que l’on appelle les ruminations qui sont les spécialités des patients anxieux, et qui est un phénomène purement mental mais très vite le corps commence à se crisper, il y a des tensions musculaires, on peut avoir une boule au ventre, une sorte d’oppression respiratoire donc l’anxiété c’est au fond une maladie psychosomatique qui engage à la fois notre corps et notre esprit. Et c’est vrai que souvent chez certains patients ce sont d’abord les signes physiques qui attirent l’attention puis après exploration, on voit que le stress ou l’anxiété en général est le facteur qui alimente ces souffrances physiques. L’anxiété a cette caractéristique de pouvoir mimer sur le plan corporel tout un tas de pathologies. On peut avoir d’énormes douleurs dans la poitrine, on peut avoir des maux de tête fracassants, c’est très impressionnant et c’est vrai que les patients qui arrivent chez les médecins ont besoin d’avoir un bilan, et après ils sont assez désemparés de penser que c’est de l’anxiété. Nous vivons dans une société qui a peur de la maladie mentale et une personne angoissée va souvent d’abord se plaindre d’un symptôme physique. Il n’y a aucune honte à avoir peur, on est tous humain, on fait ce que l’on peut et parfois on est dépassé. Une maladie mentale n’est pas plus honteuse qu’une maladie physique. Les psychothérapies peuvent avoir le même effet que les anxiolytiques qui ont des effets secondaires au long cours.
Comment savoir si mon anxiété est normale et quand elle devient pathologique ?
Dans l’esprit des psychiatres il y a trois critères pour savoir si on est dans le normal ou dans le pathologique ; il y a d’abord l’intensité de l’anxiété si c’est un petit bruit de fond qui ne m’empêche pas de vivre, de rigoler, de faire ce que j’ai à faire on peut considérer que l’on n’est peut-être pas dans le pathologique.
Le deuxième critère c’est la fréquence et puis surtout le troisième critère c’est le handicap est-ce que cela me gêne dans mon quotidien, est-ce que cela m’empêche de me concentrer est-ce que cela m’empêche de dormir est-ce que cela m’empêche de porter mon esprit vers ce qui m’intéresse ou même dans la cadre des anxiétés phobiques est-ce que cela m’empêche de sortir ou d’agir.
On peut rajouter quelle est la dynamique : est-ce que petit à petit on gagne sur l’anxiété et on s’en détache, ou au contraire est-ce que cela persiste ou s’aggrave. Dans les deux cas les mécanismes ne sont pas les mêmes et si cela s’aggrave, cela vaut la peine d’intervenir. On peut vivre longtemps avec un bruit de fond de l’angoisse jusqu’à ce qu’il y ait un petit caillou et là ça dérape et on n’arrive plus à la gérer.
L’anxiété à dose modérée peut être une richesse car les anxieux sont des gens qui anticipent, qui sont des gens fiables qui sont des gens qui ont un peu tendance à être perfectionnistes et en fait globalement ce sont des personnes précieuses pour elle et pour les autres à condition de ne pas franchir la limite qui est de laisser l’anxiété nous embarquer dans des ruminations qui nous empêchent d’avancer.
La manière de gérer les émotions s’apprend très tôt et il peut y avoir de grandes différences en fonction de l’éducation.
Qu’elle est la différence entre la peur et l’anxiété ?
En fait c’est quand même assez proche et la peur va générer de l’anxiété et l’anxiété va générer de la peur. La différence c’est surtout dans le stress on a tous le droit d’être stressé et après il y a un fourre-tout avec l’angoisse, l’anxiété, la peur.
Les anxiétés sévères doivent être traitées par des médicaments dans un premier temps, l’objectif étant de pouvoir les traiter différemment par la suite. La méditation peut servir à sortir du cercle vicieux entre les pensées anxieuses et les réactions anxieuses du corps. Ce que nous apprend la méditation c’est finalement à observer notre anxiété, en général on préfère penser à autre chose mais finalement c’est mieux d’observer, de regarder la naissance de nos pensées et l’influence qu’elles ont sur notre corps sur notre vision du monde mais surtout comment tout cela s’enchaine dans un cercle vicieux et au fond lorsqu’on médite on va apprendre peu à peu à mettre un peu de distance, prendre un peu de recul par rapport à toutes les manifestations de notre corps, à ne pas s’affoler et donc peu à peu à reprendre une forme de contrôle tranquille des inquiétudes normales. Le but ce n’est pas de ne jamais avoir d’inquiétudes le but est que ces inquiétudes ne nous fassent pas souffrir et nous servent au lieu de nous desservir. L’activité physique peut également nous aider à prendre du recul dans les situations les moins graves.
Texte écrit à partir de l’émission Grand bien vous fasse d’Ali Rebeihi sur France Inter avec
Antoine Pelissolo chef du service psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor à Créteil
Aurélia Schneider psychiatre
Christophe André psychiatre